Elliot au collège est une bande dessinée jeunesse dont le premier tome est paru en 2021 [1]. Son auteur, Théo Grandjean, y met en scène dans des histoires courtes un jeune garçon nommé Elliot, à partir de son entrée au collège.
Elliot est toujours accompagné de son « angoisse », invisible pour les autres, représentée sous les traits d’un personnage informe affublé de deux gros yeux. Cette angoisse l’empêche d’aller vers les autres, le fait douter, lui donne de mauvais conseils, voire prend des allures de surmoi en le critiquant méchamment. Cette sorte de compagnon de solitude acceptera de se tenir en retrait au fur et à mesure qu’Elliot se fera des amis. L’omniprésence de l’angoisse est un symptôme contemporain mis en scène de manière fine et humoristique dans cette bande dessinée qui n’évite pas les autres thèmes liés à l’adolescence dans un monde de consommation et hyper-connecté : tristesse et anxiété généralisée, rapport à l’image et aux réseaux sociaux, anorexie, etc.
Ce qui m’a intéressée pour notre prochain congrès, c’est qu’à partir de la vie d’Elliot et de ses amis, nous découvrons peu à peu que le plus seul n’est pas celui que l’on croit. Dans cette série, il n’y a que des parents « solos ». La mère d’Elliot vit avec lui, sans qu’un père ne soit évoqué. Elle résiste à l’idée que son fils ne soit plus un enfant. Stressée et inquiète, elle manque de temps pour lui à cause de son travail. Le père d’Eglantine, l’amie d’Elliot, est totalement égaré, ce que sa fille interprète comme un « il s’en fout de moi ». Celui de Bastien, le bad boy du collège, est brutal, dans une posture virile caricaturale qu’il impose comme modèle à son fils, incapable de l’aimer.
À côté de la solitude des ados, qui disparaît très vite, nous découvrons celle de leurs parents, rivés à leur propre jouissance : addictions, culpabilité, errance ou violence. Ce n’est pas sans effets sur les ados. Ces effets sont présentés non comme un jugement concernant les parents, mais comme servant de points d’appui aux bricolages, symptomatiques ou pas, des jeunes et aux processus de détachement vis-à-vis de leurs parents qui s’opèrent au gré des liens de haine et d’amour qui se nouent entre les ados.
Elliot au collège est une lecture de notre temps, un déchiffrage qui consonne pour nous, psychanalystes, avec ce qui oriente notre travail pour lire la famille et les symptômes de chacun de ses membres aujourd’hui : la logique du pas-tout proposé par Jacques-Alain Miller, comme le souligne Daniel Roy en 2023 [2]. En effet, prendre en compte la famille non plus comme fonction mais comme se soutenant d’« une économie de jouissance [3] » propre nous permet d’accueillir une parole et des bricolages inédits, dont Elliot et ses amis témoignent dans leurs efforts de faire avec le lien.
[1] Grandjean T., Elliot au collège, Paris, Éditions Dupuis, 2021.
[2] Roy, D., « Orientations », Enfants terribles et parents exaspérés, Paris, Navarin, 2023, p. 11-22.
[3] Ibid., p. 20.