Mon intervention croise ce que Lacan dit des conditions d’humanisation de l’enfant, en 1969 avec les avancées de Jenny Aubry dans sa pratique.
Le travail de Jenny Aubry
En 1946, J. Aubry prend la direction d’un dépôt de l’Assistance Publique, la Fondation Parent-de-Rosan, qui recueille des orphelins en bas âge.
J. Aubry se trouve alors dans une situation qu’elle ne pouvait pas supporter. C’est de là qu’elle part, c’est de là qu’elle parle : ne pas reculer devant l’insupportable, se mettre à la tâche.
Cheffe de Service de Pédiatrie à l’hôpital des Enfants-Malades, elle poursuit ses recherches sur les carences affectives précoces. C’est en s’appuyant sur « ce qui n’est pas perceptible au premier abord », qu’elle prend la mesure de la gravité de l’extrême abandon dans lequel sont laissés ces enfants qui ne bénéficiaient ni de liens ni de soins particularisés. J. Aubry fut la première à rejeter l’anonymat et la protocolisation des soins.
En 1963, elle met en place un traitement psychique pour chaque enfant, visant à établir le lien à l’Autre, la demande à l’Autre, le jeu, la parole.
Lacan
Le texte de Lacan donne l’épaisseur théorique à ce qui précède.
Lacan insiste sur la nécessité d’« un désir qui ne soit pas anonyme » pour qu’il y ait « transmission […] d’une constitution subjective [1] ».
Ce un du désir n’est ni désir d’enfant, ni désir de la mère ou du père. Mais désir d’un qui nomme et, ce faisant, inscrit l’enfant dans la lignée des générations.
C’est à partir de cette condition minimale que pourront être jugées les fonctions du père et de la mère. Le terme de « fonction » désigne une opération distincte de l’instinct et de l’amour. On sort des affects et des drames, des histoires de famille, quelles qu’en soient les configurations.
Deux fonctions parfaitement différenciées. Celle de la mère doit porter, dans les soins donnés à l’enfant, « la marque d’un intérêt particularisé [2] » qui passe par la parole et pas par la seule satisfaction des besoins. Cette attention particulière à l’enfant peut très bien en passer par la voie des manques maternels (appréhension par l’enfant du manque maternel, du fait qu’elle puisse désirer autre chose).
La fonction portée par le père est d’être le vecteur de la Loi dans le désir. Non pas gendarme de la famille, mais instance de médiation qui permette à l’enfant de se déprendre de la position d’objet a du fantasme maternel, position qu’il incarne dans le réel.
Questions
Ce cadre posé par Lacan en 1969 ouvre déjà une série de questions :
Peut-on se passer de la fonction médiatrice soutenue par le père ?
Comment une femme peut-elle se tenir comme pas toute et ne pas rester fixée dans l’illusion de faire Un avec son enfant ? Quelle médiation pourrait l’entamer ?
Et s’il n’y a qu’une fonction, la fonction parentale, comment un sujet peut-il ne pas y être tout entier, s’en décaler quelque peu ? Comment consentir à une limitation instaurée par l’autre ?
Quel tri l’enfant fera-t-il dans ce qui lui est transmis par cette imprégnation initiale ?
Autant de questions pour des jeunes parents aujourd’hui, susceptibles d’agrémenter bien des scènes de la vie ordinaire.
[1] Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373.
[2] Ibid.