Faire famille prend forme lorsque l’enfant naît, on dit même « fonder une famille ». De par son étymologie, du latin fundare, bâtir, établir, instituer [1] , mais aussi rester en contact [2], le verbe fonder indique d’emblée qu’il s’agit d’établir un édifice, de poser les conditions nécessaires pour qu’une construction résiste au temps. Rappelons-le : l’École de Lacan s’est réalisée en 1964 en ces termes : « Je fonde [3] », première énonciation qui vaut comme « Acte de fondation ».
Pour notre propos, fonder une famille ne s’improvise pas au sens où l’opération ne se décrète pas sans le préalable que présentifie l’enfant. C’est, en effet, avec la venue de l’enfant, du premier enfant, que le père et/ou la mère sont institués parents. L’assise symbolique via le livret de famille en est ainsi constituée. Chaque parent occupe une place dont Lacan a pu préciser la fonction : la mère en tant qu’elle s’occupe du bébé au regard de son besoin et « le père en tant que son nom est le vecteur d’une incarnation de la Loi dans le désir [4] ». Nous le savons, l’enfant est bien souvent parlé avant sa naissance : on choisit son prénom – ou on le change, s’il est adopté –, on l’inscrit à la crèche, on achète les vêtements pour une fille, pour un garçon, etc.
Nous assistons alors à une opération de nomination nouvelle pour chaque parent qui déclare l’enfant. Un signifiant nouveau émerge, « mère » ou « père », qui se couple à un autre, « d’un garçon » ou « d’une fille ». Nous relevons ici l’équivoque que ce signifiant « fille » ou « garçon » recèle : c’est une fille (genre), c’est ma fille.
Le genre est ainsi accordé avec la fonction, il la légitime et l’inscrit dans un lien de filiation qui sera reconnu ensuite par la communauté. Ainsi, tous ces signifiants s’organisent autour d’un seul, celui de « famille » qui sert de pivot à la construction d’un fantasme.
Lorsque l’enfant change de genre, de sexe, c’est une nouvelle appellation qui le désigne, certes, mais elle produit aussi un changement de la nomination de chacun des parents : pour le même enfant, il n’est plus désormais « père d’une fille », par exemple, mais « père d’un fils ».
Il y aurait une première articulation de la chaîne signifiante construite avec les coordonnées du fantasme qui soutient le signifiant « famille ». Cette chaine serait ensuite désarticulée, dès lors que l’enfant ne serait plus parlé de la même façon, ne fût-ce que par la modification de son prénom. Une patiente m’a dit un jour : « Il m’est plus difficile de changer ma façon de parler à mon enfant, d’utiliser d’autres mots pour m’adresser à lui que d’accepter son changement de genre ».
Il s’agirait de fonder une nouvelle famille avec les mêmes… Enfin, pas tout à fait ! À l’instar de la famille recomposée, avec le changement de genre d’au moins un, n’aurions-nous pas une famille re-fondée ?
[1] « Fonder », étymologie disponible sur le site du CNRTL : cnrtl.fr.
[2] Bloch O., von Wartburg W., Dictionnaire étymologique de la langue française, Paris, PUF, 2002.
[3] Lacan J., « Acte de fondation », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 229.
[4] Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373.