En 1938, Lacan, dans « Les complexes familiaux… », fait de la famille et plus précisément du mariage « le lieu élu de la culture des névroses [1] ». Presqu’un siècle plus tard, la famille s’est complexifiée avec l’émergence d’organisations familiales des plus diverses. Une de ces formes est la famille monoparentale, une « famille à un tout seul [2] ». Tout comme la famille du début du xxe siècle, institution réunissant couple conjugal et parental, celle du xxie siècle – qui voit le conjugo valser et se disjoindre du couple parental, donnant lieu à de nouvelles formes familiales comme celles de s’adjoindre un troisième parent ou de se réduire au célibat ou à la monoparentalité – comporte son lot de malaises. Un des malaises de la famille complexe contemporaine peut avoir pour nomination l’inséparation.
C’est la puissante démonstration du film récent Vögter (« Sons » en version française), du réalisateur danois Gustav Möller. Le titre original, qui porte sur le personnage principal, incarné par Sidse Babett Knudsen, signifie « surveillante » : celle qui, littéralement, veille de façon excessive.
Une surveillante, porteuse d’un terrible secret, voit débarquer un jeune homme extrêmement dangereux dans l’unité de haute sécurité de sa prison. Ce jeune homme se révèle être l’assassin de son propre fils. Le directeur de l’établissement et le responsable de ladite unité incarnent respectivement un je n’en veux rien savoir et la loi radicale, brutale, positions toutes deux marquées par l’absence de médiation du Nom-du-Père et ses conséquences potentiellement mortifères. La mère gardienne étouffe, prise dans une jouissance secrète alors que les flashbacks nous la montrent dépassée face à son fils adolescent – il n’y a pas de père dans ce duo. Tout aussi seule, la mère de l’assassin, quant à elle, tente de maintenir une relation avec lui malgré les murs de la prison. À ses dépens. Être mère, ça va jusqu’où, ça s’arrête où ? C’est une des questions posées au spectateur.
Seul l’aumônier rencontré après un passage à l’acte de la vögter lui permet de mi-dire une vérité, celle de la pulsion de mort à l’égard de son fils – qui était un délinquant violent – et de la culpabilité qui y est associée, réactivées brutalement à l’arrivée de son assassin. Quand une place est faite à la parole de la mère qui mi-dit l’insupportable lien duel, celle-ci peut enfin lâcher ce qui se rejoue avec le tueur et quitter un registre mortifère, donnant au jeune homme une chance de purger sa peine, et à elle-même de poursuivre la sienne, d’endurer sa douleur de vivre, quelque peu séparée de ce qui faisait sa jouissance.
[1]. Lacan J., « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 83.
[2]. Laurent É., « Institution du fantasme, fantasmes des institutions », Feuillets du Courtil, 2003, p. 2, disponible sur internet.