Sur scène, quatre femmes, les « Marthe », inspirées par des courants écoféministes, étudient les façons de faire famille. Loin du discours analytique qui fait valoir « l’irréductible d’une transmission […] qui est d’une constitution subjective, impliquant la relation à un désir qui ne soit pas anonyme [2] », elles ont pour projet de « décentrer la place de l’humain », avec des « études de cas, où les animaux interrogent nos manières de faire famille » [3]. Que nous enseigne leur création sur le malaise contemporain dans la famille ?
Avant d’interroger l’éthologie, elles explorent l’Histoire. Elles font revivre un groupe de paysans du Moyen-Âge vivant en maisonnée, puis une cellule bourgeoise du XIXe siècle avec son patriarche régentant femmes et enfants, puis une famille des années 1990 aux préoccupations centrées sur les exploits des enfants et l’amélioration consumériste de la maison.
Nous arrivons au XXIe siècle, celui des familles de chacune. Leurs échanges deviennent intimes. Mais l’actualité du monde les rattrape, celle du « grand orange, l’américain, Donald » pour qui le « retour des femmes américaines aux fourneaux » est nécessaire pour « make America great again… [4] ». Ce retour du « pater familias qui avait droit de vie et de mort sur sa femme et ses enfants » comme elles le formulent, met en scène que « l’évaporation du père [5] » repérée par Lacan, fait surgir un père réel, jouisseur.
Juste après, un tournant saisissant se produit, avec l’arrivée sur scène d’une reine termite. Bruits de jouissance, reptations, soupirs, geignements. Un immense vêtement blanc, magnifiquement brodé comme une robe de mariée, dont la beauté et la finition tranchent avec les autres accessoires, peine à voiler l’obscénité de la jouissance en jeu. « Ultime barrière, défense dernière contre le réel, la beauté, n’y touchez-pas ! [6] » enseignait Lacan. « Qu’on m’en apporte un autre ! » [7] vocifère la reine à plusieurs reprises. Un autre roi pour la féconder, car elle pond quarante mille œufs par jour. Directement corrélée à l’irruption du père réel, sur scène, surgit la jouissance de la mère toute, non barrée.
La fin du spectacle permet de lire son titre, « Vaisseau famille ». Les Marthe s’embarquent à bord d’un voilier, métaphore d’une famille à la « généalogie alternative ». Il s’agirait d’en choisir les membres, ascendants y compris, « pour que le passé ne s’impose pas au présent » [8]. Elles quittent le port en criant ce slogan « faites des parents, pas des enfants ! ». Elles avaient déjà quitté le « port [9] » phallique, mais cet appel à une parentalité autre révèle un rejet de la transmission symbolique, du désir et de la responsabilité propres à l’institution familiale : Malaise dans la famille à l’époque de l’idéologie scientiste.
[1] Collectif Marthe, Vaisseau Familles, mise en scène, jeu et écriture Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, Aurélia Lüscher, Itto Mehdaoui, 2024.
[2] Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373.
[3] Collectif Marthe, « Vaisseau familles », disponible sur internet.
[4] Propos retranscrits par mes soins à partir de l’écoute de la pièce.
[5] Lacan J., « Note sur le père », La Cause du désir, n°89, mars 2015, p. 8.
[6] Naveau L., « Beauté et pudeur », disponible sur internet.
[7] Propos retranscrits par mes soins à partir de l’écoute de la pièce.
[8] Ibid.
[9] Freud S., « La féminité », Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1984, p. 173.