Little Miss Sunshine met en scène l’une des figures du malaise familial actuel, que l’on pourrait appeler le « malaise de l’Idéal ». Le fil rouge de cette comédie américaine est la quête, au sein d’une famille, de l’idéal et le dévoilement de son destin, le ratage. Le film montre que le malaise est inversement proportionnel à la place qui est faite à l’échec et nous présente une version de la famille débrouille de notre époque, c’est-à-dire une manière de faire avec les embrouilles qui empêchent la rencontre au sein d’une famille. Famille qui, comme le rappelle Jacques-Alain Miller, « a son origine dans le malentendu, la non-rencontre, la déception [1] ».
Chaque membre de la famille est aux prises avec l’idée obsédante de réaliser son idéal de vie. Pour l’illustrer avec Olive, la plus jeune, il s’agit de gagner des concours de beauté pour enfants. J’isolerais, dans ce film, trois temps.
Le premier temps montre le lien social de l’Idéal. Le mantra de Richard, coach professionnel et père d’Olive, incarne ce qui fait famille, à ce moment précis du film : « Refuser l’échec en neuf étapes ». L’ambiance familiale est alors l’envers de cette loi idéale : crises à répétition, disputes, addictions et mutisme. Chacun y est tout seul et le malaise est à son paroxysme.
Le deuxième temps coïncide avec l’explosion, représentée par le cri rageux de Dwayne, le frère d’Olive, devant la chimère de l’unité familiale à tout prix : « Je n’ai pas envie de faire partie de votre famille, je vous déteste, bande de pauvres cons ! […] Vous êtes tous des ratés, des losers ! », conclut-il. Le masque est tombé. La seule chose qui permettra à cette famille de tenir, c’est la promesse de la réussite d’Olive : l’enfant phallus les sauvera-t-elle tous ?
Le troisième temps correspond à la scène finale du concours de beauté, dans laquelle s’opère un dénouement. Le spectateur assiste d’abord à une déception : les membres de la famille comprennent enfin que leur petite n’est pas une reine de beauté. Il est ensuite témoin de leur réaction face à cette déception : quand les organisateurs demandent au père de retirer sa fille, jugée obscène, de la scène, Richard se met à danser avec elle. L’un après l’autre, tous les membres de la famille suivent le mouvement du père. Un peu comme l’Idéal du moi qui vient frapper le moi idéal, la famille se soude joyeusement à partir du ratage de la plus petite.
Little Miss Sunshine nous éclaire sur ce qui se joue intimement dans le passage de l’imaginaire au symbolique. Tout enfant est appelé à se décoller de cette image idéale où la famille souvent l’installe et c’est le prix à payer pour pouvoir accéder à son désir. Comment se fait ce passage ? D’après J.-A. Miller, grâce au ratage : « La métaphore infantile du phallus […] ne réussit qu’à rater. Elle ne réussit que si elle ne visse pas le sujet à l’identification phallique, mais lui donne au contraire accès à la signification phallique dans la modalité de la castration symbolique [2] ». Faire une place au ratage dans son rapport à l’Idéal pourrait alors être une manière de dégonfler un certain type de Malaise familial.
[1] Miller J.-A. « Affaires de famille dans l’inconscient », in Sommer-Dupont V. & Vanderveken Y. (s/dir.), Enfants terribles et parents exaspérés, Paris, Navarin, 2023, p. 163.
[2] Miller J.-A. « L’enfant et l’objet », in Sommer-Dupont V & Vanderveken Y (s/dir.), Enfants terribles et parents exaspérés, op.cit., p. 136.