Ce film traite de la dérive d’un fils vers les ultras d’extrême droite sous le regard impuissant de son père, cheminot, ancien syndicaliste désabusé, interprété par Vincent Lindon. Si, en cette Lorraine marquée par la désindustrialisation, son fils cadet s’en sort par un idéal du savoir en entrant à la Sorbonne, son aîné, lui, glisse dans la haine à mort, sans limite. Seul un meurtre fera coupure. La force de ce film tient au choix de ne pas résorber les causes de cette dérive dans le malaise socio-économique et politique de la montée du fascisme. Le choix de Delphine et Muriel Coulin est en effet celui de filmer le malaise, du social à cette famille particulière, par ce qui est absent et tu, d’où le pire peut se lire.
Le film s’ouvre sur une scène de danse d’un corps d’homme en transe, sur fond d’électro hurlante. Raves chez les fachos, comme on le saisit plus tard. Raves sans rêve et sans malaise qui ne vienne arrêter le trop sur lequel ce corps est branché. D’où vient ce trop ? Pas de réponse. Sinon, le silence qui suit, de derrière les vitres du quotidien, qui transpire des murs de cette maison où vivent ce père et ses deux fils.
Une absence tue
Tout à ses enfants, ce père travaille la nuit, les réveille le matin, les nourrit, etc. Ils ne sont donc que trois. Pas quatre. Rien n’est dit, ni montré de celle qui n’y est plus, sinon cette présence énigmatique invisible et sourde, depuis les cloisons. Ainsi se filment son absence et le silence qui l’entoure. Le malaise est là, non identifié. Il faut un temps assez long avant que l’on apprenne que la mère est morte de maladie. Pendant que le père la veillait, l’aîné s’est occupé de son jeune frère, celui qui réussira. Depuis, le silence, conséquence d’une jouissance mortifère impossible à dire, est aux commandes.
De la mère à celles qu’on dit femme – diffame
Se filme aussi et surtout l’absence du féminin. De la maison jusqu’à l’usine désaffectée, reconvertie en salle de MMA pour ultras violents, en passant par le foot, aucune femme. Faire corps avec d’autres hommes, tel est le choix de l’aîné. Ne pourrait-on y lire un écho de ce que son père dit de lui-même : « ma vie est passée » ? Le désir de ce père s’est éteint dans ce deuil indéfini.
Père-version en deuil
Voilà qui éclaire d’une condition supplémentaire la père-version développée par Lacan. Si « un père n’a droit au respect, sinon à l’amour, que si le dit, ledit amour, ledit respect, est […] père-versement orienté, c’est-à-dire fait d’une femme, objet a qui cause son désir [1] », encore faut-il que ce désir soit vivant. N’est-ce pas précisément le reproche que ce fils adresse à son père : « Toi, tu ne crois plus en rien » ? Une scène-pivot du film autorise cette lecture. En ce qui concerne le second, à la faculté, c’est la fête. Pour la première fois, ça rit et la présence d’une femme se remarque. L’aîné tente de danser maladroitement avec elle. Il va chercher son père : « Père, montre-moi comment danser avec une femme plutôt qu’avec les fachos. »
Version du pire
Le père restant tourné vers un tout à ses enfants, quelle transmission alors ? Sans version d’un savoir-y-faire avec le trop, la jouissance, l’aîné s’oriente vers la version du pire, épousant l’envers des idéaux du père, le trop ne trouvant point d’arrêt que dans le meurtre d’un rival, tel un besoin de punition. Les murs de la prison font alors fonction de limite, interprétant aussi le trop de silence du père. Ainsi à se faire responsable du choix du pire – qui ne se réduit pas aux coordonnées de l’intime –, père et fils peuvent alors commencer à se parler.
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I. », leçon du 21 janvier 1975, Ornicar ?, n° 3, mai 1975, p. 107.