Dans ses travaux sur « Les enjeux de l’adolescence [1] », Hélène Deltombe abordait le passage adolescent comme un moment de socialisation du sujet sur un mode symptomatique. La bande de pairs, le groupe, servait à la construction identificatoire des jeunes, en dehors du noyau familial. Ces espaces de socialisation autour d’une expérience de jouissance et de corps partagée, pouvaient se faire le relai de la sphère familiale favorisant ainsi le détachement des uns pour l’attachement à d’autres.
Or, ces dernières années, la clinique des sujets dits addicts indique un changement dans le rapport entre le jeune et l’accroche symptomatique au produit. Déjà en 2015, Jacques-Alain Miller dans son intervention de clôture de la 3e journée de l’Institut psychanalytique de l’Enfant [2], signalait que c’est sur les adolescents que se constatent le plus, les impasses de l’individualisme.
Il apparaît que les premières expériences de produits s’effectuent moins en groupe que d’emblée dans un acte solitaire dévoilant d’autant plus le se-jouir-tout-seul au centre de ces pratiques. Là où, auparavant, la consommation était expérimentation et faisait semblant de lien social, elle n’apparaît plus, aujourd’hui, que dans sa face de coupure radicale avec l’autre de la parole. Les liens aux petits autres, qui venaient jusqu’alors faire identification imaginaire sur le collectif, sont fragiles et ne tiennent plus. Les parents, face à cette auto-jouissance dans laquelle est entraîné leur enfant, se disent impuissants voire se font un allié-permissif.
Ces addictions, massives, multiples et illimitées par lesquelles les adolescents et jeunes adultes semblent davantage attrapés, signent une forme moderne du malaise dans la civilisation qui prend racine dans le surmoi : Jouis !, repéré par Lacan.
Cet impératif auquel il est impossible de répondre et qui laisse les sujets en impasse, se traduit par la généralisation du phénomène. Ce qui s’y entend est la revendication du sujet d’un droit à sa jouissance propre, faisant croire à la liberté de choisir son objet. Il y a un envers, c’est d’être tout seul tout entier avec sa jouissance, produisant une coupure radicale avec l’Autre parent, l’Autre de la famille, l’Autre du social.
La séparation d’avec le milieu familial ne se traite plus au travers de l’expérience de consommation comme mode symptomatique de socialisation pour permettre l’attache du jeune à un ailleurs. Il s’agit plutôt de la mise en acte d’une rupture radicale qui tient de l’impossible inscription du sujet dans le champ de l’Autre dévoilant l’absence de garantie dans l’Autre. Aux prises avec leur objet de jouissance, les adolescents et jeunes adultes ne sont plus pris dans la chaîne signifiante qui met en jeu aliénation-séparation mais errent comme des uns-tout-seuls.
[1] Deltombe H., Les enjeux de l’adolescence, Paris, Édition Michèle, 2010.
[2] Cf. Miller J.-A., « En direction de l’adolescence » Interpréter l’enfant, Paris, Navarin éditeur, 2015, p. 191-205.