« Le point de départ en est que la langue parlée par chacun est une affaire de famille et que la famille dans l’inconscient est primordialement le lieu où l’on apprend la langue maternelle. […] Le lieu de la famille reste lié à la langue que l’on parle, c’est-à-dire que parler, parler dans une langue, est déjà témoigner du lien avec la famille [1] ».
La langue maternelle est ainsi dire, une affaire de famille. C’est avec ces quelques autres qui la composent que ça parle de nous. Et c’est parce que nous sommes parlés par ces autres, qu’il était une fois dans l’inconscient, l’histoire d’une famille. Mais reste alors cette petite musique de lalangue qui se glisse à nos oreilles, soit là où « Ouïe, ça me parle » ! Et quand en plus il y a une, deux, trois langues qui s’emmêlent… Comment se tisse ainsi lalangue de famille ? C’est ce que nous enseignent ces sujets qui naviguent entre les langues.
Les langues de l’Autre
À se frotter à l’Autre, le sujet, pour parler, se met à dé-couper la langue. Cette découpe du signifiant permet d’introduire la différence. La langue se découpe parfois en deux, comme avec la langue de l’école et celle de la famille, la langue de maman et celle de papa, etc. Pour d’autres, il faut parler le français et la langue maternelle s’y perd, ne subsistant alors qu’un reste. Langue interdite, langue oubliée, langue morte… Les mille et unes histoires de familles dans l’inconscient traduisent comment chacun s’est fait couper la langue.
Lalangue maternelle, mère de l’indicible
Sarah s’est retrouvée à traverser tout un tas de langues. Vers six ans, elle se met à apprendre l’italien, qui deviendra sa« langue de tête » pour, dit-elle, travailler. Alors pour être italienne, « il faut être la meilleure » ! Aujourd’hui à vingt-cinq ans, elle se retrouve en France avec cette fameuse langue : le français, « où on ne se comprend pas ». Avec l’anglais, elle y va en faisant des erreurs mais avec le français, sa place dans l’Autre vacille. Elle arrive chez l’analyste ainsi avec de nos nombreux symptômes qui rendent compte d’un corps qui se laisse tomber. Heureusement, c’est l’arabe, sa langue maternelle qui la tient– « sa langue de cœur » dit-elle – par des mots d’amour qu’elle dit « intraduisibles ». Au-delà de ce qui se traduit de sa petite histoire de l’inconscient, résistent ces bouts de langue maternelle qui font de Sarah un sujet qui peut se tenir par son corps. Et ce à l’envers par exemple, de Louis Wolfson qui nous enseigne comment il s’est voué à traduire à la lettre ce vacarme assourdissant de lalangue maternelle pour tenter de la mettre à distance, quitte à la pulvériser. De ce sujet qui se retrouve sans sa petite histoire de l’inconscient, le signifiant ne peut pas se dé-couper, et donc la langue non plus. Alors c’est à les mélanger, qu’il se fabrique un fameux « pot-pourri [2] » pour mettre à distance lalangue, quitte à la détruire.
Et c’est ainsi qu’il revient à chacun de trouvailler avec ces petits bouts de lalangue qui se chantent à l’oreille, comme un air de famille.
[1] Miller J.-A., « Affaires de famille dans l’inconscient », Lettre Mensuelle, no 250, juillet 2006, p. 9.
[2] Wolfson L., Le schizo et les langues, Paris, Gallimard, 1970, p. 5.