Dans une analyse, « s’agit-il de se séparer de sa famille ou de sa part prise dans la jouissance familiale ? [1] » Ce travail, Laure Murat le fait non par la psychanalyse mais grâce à l’écriture.
Elle descend du grand militaire du même nom. Ses lignées paternelle et maternelle sont aristocratiques. L’annonce de son homosexualité a entraîné son exclusion unanime par sa famille.
Dans son ouvrage Proust, roman familial, elle soutient que Marcel Proust – qui a connu certains de ses ancêtres –présente, dans À la recherche du temps perdu, le dessillement progressif du narrateur quant à l’aristocratie. Elle écrit : « les gens qui m’entouraient étaient, stricto sensu, des personnages de Proust. [2] »
La Recherche éclaire, pour elle, le malaise qu’elle ressentait dans ce milieu. Il lui a fallu des années pour mieux voir dans quel ordre symbolique on y est enfermé, en autarcie, comme dans un château-fort. Dans cette prison mondaine, le nom propre inscrit dans la généalogie est essentiel. On y partage une langue commune, sorte de « rhétorique de la monstration et du silence [3] », qui permet surtout de ne rien dire. On y vit sous la domination de l’objet regard, en représentation, plaçant par-dessus tout le maintien des apparences. L. Murat évoque la « face prétendument solaire de l’aristocratie [4] » masquant son vide.
Les secrets de famille y sont prégnants. Pour Jacques-Alain Miller, « la famille est essentiellement unie par un secret, […] par un non-dit […] C’est toujours un secret sur la jouissance : de quoi jouissent le père et la mère ? [5] ».
L. Murat évoque le secret sur l’homosexualité – on peut l’être mais pas le dire, mentir s’impose – et elle souligne que sa mère a été la première à la rejeter quand elle a énoncé ce qui aurait dû rester caché.
Mais elle débusque aussi dans la famille maternelle un secret sur l’inceste. En suivant l’indication de Lacan, les soins de sa mère ne « portent [pas] la marque d’un intérêt particularisé [6] » mais « l’absence, le vide, purs [7] ». L. Murat, qui découvre l’inceste commis par son arrière-grand-père maternel – dont l’épouse a dignement élevé la fille qui en est née –fait l’hypothèse suivante : la manière dont cet inceste a été couvert par le secret familial est une source de « l’absence » de sa mère. Hélène Bonnaud évoque, dans le cas de l’inceste, la « jouissance à se taire qui touche […] à la parole en tant que le secret en maintient le pacte. […] Sortir de ce silence-là, c’est perdre quelque chose de cette jouissance qui promet le semblant d’union, le semblant de famille une [8] ».
Ainsi, l’institution aristocratique impose de « parler pour ne rien dire ». Il semble que pour L. Murat,– qui, comme elle le souligne, « ne comprendrait pas ce qu’elle vit si elle ne l’écrivait pas [9] » – l’écriture a eu comme fonction de lui permettre de « se sauver » de la jouissance familiale dans laquelle elle était prise.
[1] Langelez-Stevens K., « Le réel en jeu dans la famille, la jouissance, comment s’en séparer », intervention à L’ACF en Aquitaine, le 07 décembre 2024, inédit.
[2] Murat L., Proust, roman familial, Robert Laffont, Le Livre de Poche, 2023, p. 70.
[3] Ibid., p. 141.
[4] Ibid., p. 143.
[5] Miller J.-A., « Affaires de famille dans l’inconscient », Enfants terribles et parents exaspérés, Institut psychanalytique de l’enfant du Champ freudien, Paris, Navarin éditeur, 2023, p. 163.
[6] Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373.
[7] Murat L., op.cit., p. 124.
[8] Bonnaud H., « Inceste et secrets de famille. Familles, questions cruciales. », posté le 27 août 2021, sur le blog : G.N.I.P.L.
[9] L. Murat interviewée par L. Adler, Maison de la Poésie, 4 octobre 2023. Disponible sur YouTube.