« [J’] écris à partir de ce que je tais. [1] »
La faille remue les poncifs sur la famille et met en branle ceux qui en font le lieu du confort et des liens indéfectibles. Mais, le travail de Blandine Rinkel ne se veut pas une arme de destruction massive de la famille ; celle-ci est explorée ici de manière dialectique et surtout à partir d’un point de fêlure que l’auteure explore.
C’est un lapsus calami, trace inconsciente de ce qui cloche, qui donne ce si beau titre au livre, La faille. Blandine Rinkel se rend compte qu’elle écrit faille quand elle croit écrire famille, le m – aime ! injonctif peut-être – échappe ! Mais si la faille se signifie du manque qu’elle constitue, nous saisissons bien là, ce que la psychanalyse attrape depuis toujours, que c’est du manque que naît le désir.
L’auteure pose le tableau d’emblée, « j’aurai essayé la famille et puis, un jour, j’en aurai fini [2] ». Le futur antérieur est aux commandes ! Deux points de réel sont là dès avant sa naissance, celui de la mort et celui de sa hâte à sortir du familier. « D’aussi loin que je me souvienne, passer la porte allait avec un immense soulagement et plus secrète, une profonde joie. […] je marchais sans but, et sentais, confusément, qu’ainsi je sauvais ma vie [3] ». À la tristesse et à l’ennui, l’auteure répond par un désir d’ailleurs. De cette faille ressentie très tôt, il a fallu s’extraire, mais pas sans désir de savoir, ce qu’elle produit, tel l’analysant, en parlant, en lisant et en écrivant. C’est surtout le silence qui fut mortifère, car de conflits, il n’en fut pas question avec ses parents : « Et il n’y a rien de pire que sentir, sans qu’un mot soit prononcé, que vous faites partie du problème de quelqu’un que vous aimez. [4] » C’est de ce point de l’enfance, que Blandine Rinkel indique écrire [5].
L’auteure manie avec brio et en alternance, deux registres : l’intime et la recherche. Mais on entend bien que ces références, littéraires et cinématographiques, sont au service de sa question. Le souvenir d’enfance quand elle a huit ans – « je regarde mon père, respirer loin de sa famille [6] » – est une coordonnée capitale. Père qu’elle qualifiera dans son récit de « despote fantaisiste [7] ». Elle démontre comment le familier de la famille n’empêche pas, et sans doute provoque, un sentiment d’étrangeté de ce lieu et de ce lien dit familier. Étrangeté de soi-même au milieu des dits siens, et étrangeté de ceux qui sont censés être connus de nous et nous connaître mieux que personne. Et la chose inédite est de ne pas faire équivaloir son désamour de la famille au père manquant, mais bien plutôt à une forme de transmission de la propre peur d’enfermement pressentie chez le père.
À la fois « cobaye et chercheuse », pour reprendre ses nominations, elle isole son point de singularité, qu’en réponse à l’exil, à l’arrachement et à la solitude, il y a l’écriture : « L’écriture de ce texte – l’écriture tout court – est sans doute née de cette distance : de la déchirure secrète qu’on sent parfois entre le monde et soi, entre le groupe et soi. [8] »
[1] Rinkel B., La faille, Paris, Stock, 2025, p. 193.
[2] Rinkel B., La faille, Ibid, p. 10.
[3] Rinkel B., La faille, Ibid, p. 11-12.
[4] Rinkel B., La faille, Ibid, p. 30.
[5] Cf. Blandine Rinkel : « Écrire, c’est travailler ce qui nous travaille », 6 février 2025, podcast disponible sur le site de France Inter.
[6] Rinkel B., La faille, op. cit., p. 10.
[7] Rinkel B., La faille, Ibid, p. 24.
[8] Rinkel B., La faille, Ibid, p. 211.