La série Icon of french cinema [1] traite de l’effraction d’un réel impossible à dire. Six épisodes suffisent à Judith Godrèche, pour laisser entrevoir le trajet d’une déconstruction, construction et reconstruction [2].
Bien que la série évoque l’ordonnancement d’une mauvaise rencontre [3], elle aborde avec finesse le malaise dans la famille [4], et offre un éclairage sur la civilisation et sur les formes contemporaines que prend son malaise. L’histoire dévoile une enfant fragilisée par le départ de sa mère et par la crainte de perdre son père. Pour se soutenir et ne pas décevoir l’autre, Judith consent à faire partie de la famille du cinéma, et se laisse-faire [5]. « Parce qu’il n’y avait pas de figure d’autorité forte [6] », une autre figure paternelle a pu prendre la place laissée vide.
La série dépeint son retour sur la scène du cinéma français. Le personnage de Judith apparaît dans un décorum rose bonbon de petite fille, et se dévoile dans une vie qui n’est pas de son âge. Un forçage s’entrevoit. Elle rencontre, au moment de l’éveil du printemps [7], un maître qui va, pour servir sa propre jouissance, conjoindre troubles des sentiments, désir et pulsions. Traversée par cet éveil, la jeune Judith n’est plus tout à fait une petite fille, mais pas encore une femme. La confusion peut alors jouer sa partie. Sans re-père, elle est prise au piège de l’amour adressé au savoir et de celui du maître.
Folie est le signifiant auquel Lacan a recours pour tenter de cerner le réel, il désigne également la jouissance féminine [8]. Lacan précise que ce que les femmes désirent est de la folie : « toutes les femmes sont folles […], c’est-à-dire pas folles-du-tout, arrangeantes plutôt : au point qu’il n’y a pas de limites aux concessions que chacune fait pour un homme : de son corps, de son âme, de ses biens. […] Elle se prête plutôt à la perversion que je tiens pour celle de L’homme [9] ».
Pour faire partie de la famille du cinéma, Judith fait la rencontre d’un maître absolu. Parce qu’il y a transfert adressé au savoir, un pacte sadien se met en place : « j’ai le droit d’user de ton corps tant que le caprice des exactions que j’ai le goût d’y commettre durera [10] ». Du consentement advient un forçage [11]. Ce pacte mène du désir à une injonction de jouissance.
« Faire face […]c’est quelque chose qui m’a pris toute une vie [12] », dit-elle. Judith Godrèche, pour faire face au réel, est passée d’un impossible-à-dire à un énoncé artistique, de l’énonciation d’un bien-dire à une écriture poétique et politique.
[1] Godrèche J., Icon of French Cinema, France, Arte, 2023.
[2] Biagi-Chai F., « Faire famille », blog PIPOL 12, 31 janvier 2025, disponible en ligne.
[3] Cf. Leguil C., L’ère du toxique, Paris, PUF, 2023.
[4] Langelez-Stevens K., « Le Malaise dans la famille », argument de PIPOL 12, disponible en ligne.
[5] Leguil C., Céder n’est pas consentir, Paris, PUF, 2021, p. 77.
[6] Audition de Judith Godrèche à l’Assemblée nationale, Violences dans le secteur culturel, 18 décembre 2024, disponible sur youtube.
[7] Cf. Lacan J., « Préface à l’éveil du printemps », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 561.
[8] Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 71.
[9] Lacan, J., « Télévision », Autres écrits, op. cit., p. 540.
[10] Leguil C., L’ère du toxique, op.cit., p. 66.
[11] Cf. de Foucher L. & Lefilliâtre J., « “C’est une histoire d’enfant kidnappée” : l’actrice Judith Godrèche porte plainte contre le réalisateur Benoît Jacquot », Le Monde, 7 février 2024, disponible en ligne.
[12] Boinet C., « Judith Godrèche, “Faire face m’a pris toute une vie” », Les Inrockuptibles, 3 avril 2024, disponible en ligne.