En sept épisodes, les réalisateurs madrilènes « los Javis [1] », nous plongent dans l’enfance d’un frère et d’une sœur rescapés de la folie de leur mère. Des années plus tard, alors qu’ils s’étaient perdus de vue, s’efforçant chacun de mener leur existence malgré l’empreinte traumatique, ils vont s’unir pour tenter de sauver leurs sœurs restées sous l’emprise de leur mère.
Prénommée Montserrat, comme la montagne où fut trouvée une sculpture de la Sainte Vierge, cette femme en errance psychique va finir par prendre son prénom à la lettre et entraîner ses filles dans son délire. Chanteuses dans un groupe pop chrétien, qui connaît un important retentissement médiatique, elles vont faire resurgir le passé traumatique d’Enric et de sa sœur Irene.
Comment Montserrat, cette jeune femme d’une vingtaine d’années à l’allure plus proche de Madonna que d’une Madone a pu en arriver là ?
Nous la découvrons jeune mère de deux enfants, dans un contexte de violence conjugale. Elle finit par partir, entraînant Enric et Irene dans une existence chaotique. Même si depuis le début, elle évoque la religion, elle est loin de vivre comme une dévote, fréquentant plutôt les night-clubs que les églises. Elle erre et rencontre Pep, un homme pas sain d’esprit, fanatique religieux qui deviendra le père de ses six autres filles. Ils vivront en vase clos, seul Pep sortira de ce qui s’apparente plus à une prison qu’à une maison. Enric et Irene seront renommés par lui, contraints de renoncer à leur identité passée. Privés de leur père, éloignés de leur tante, n’ayant pas accès au monde extérieur, sans instance tierce donc, ils sont entièrement livrés à la jouissance de leur mère et à la domination de Pep qui s’impose comme figure paternelle toute-puissante. Au fil des épisodes, le spectateur pourra se demander qui est le plus tyrannique des deux ; Montserrat s’enfonçant de plus de plus dans une folie sans limite que même Pep peinera à border. Il nous semble que se pose ici la question de la jouissance Autre, illimitée, non soumise à la loi phallique. Si Lacan a exprimé que les femmes ne sont pas « folles-du-tout [2] », « pas toutes [3] », donc ; Montserrat devient folle du Tout, de Dieu. Le spectateur comprend qu’elle a été victime d’abus sexuels lorsqu’elle était enfant, traumatisme resté sous silence. Elle apparaît comme une femme au narcissisme brisé qui n’est pas en mesure d’assurer une fonction maternelle auprès de ses enfants. En quête d’une réparation, elle s’imagine un avenir grandiose comme celui de Madonna, prenant littéralement une prédiction qu’on lui a faite. À défaut de pouvoir elle-même devenir une pop star, elle met en scène ses six filles, les Stella Maris, qu’elle dirige d’une main de fer dans un gant de tissu kitsch. Incapable de percevoir ses enfants comme des sujets, elle les réduit à n’être que son prolongement narcissique, des objets dont elle jouit afin d’obtenir une consistance.
Comment s’extraire de l’emprise maternelle ? Comment devenir sujet après avoir été victime d’abus ? Telles sont les questions que soulève cette série qui dépeint nettement le traumatisme, ses répétitions, sa destructivité mais aussi ce qui peut être à l’œuvre dans la rencontre, à savoir le désir qui tient à un petit rien, objet a, et qui pourtant est tout, à condition qu’il puisse manquer.
[1] La Mesías est disponible sur Arte.
[2] Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 540.
[3] Ibid.