La phrase d’André Gide : « Familles, je vous hais ! » est connue. Dans son texte « Affaires de famille dans l’inconscient [1] », Jacques-Alain Miller en propose la lecture suivante : « c’est, bien entendu, le cri d’un pervers et de sa rébellion contre la famille en tant que celle-ci propose de jouir de la castration [2] ».
De quoi parlons-nous ici ? J.-A. Miller indique : « Il y a toujours quelque chose à résoudre dans les liens de la famille, […] quelque chose à comprendre, comme s’il y résidait […] un problème non résolu dont la solution est à chercher dans ce que la famille a de caché [3] ». Il dit encore : « la famille est essentiellement unie par un secret, […] par un non-dit. […] c’est toujours un secret sur la jouissance : de quoi jouissent le père et la mère ? [4] »
Ce mot de castration est équivoque et souvent mal compris. Avec le texte de J.-A. Miller, il faut introduire la question de la langue pour l’attraper. La prématuration marquée de l’être humain à la naissance le rend dépendant d’autres humains pour survivre ; parents biologiques ou non, c’est par là que le parlêtre se trouve aliéné au discours de l’Autre. « En psychanalyse, le lieu de l’Autre s’incarne dans la figure de la famille. [5] »
Tout un champ lexical me semble ici devoir être convoqué pour déplier ce que nous voulons dire aujourd’hui avec le mot de castration. Il ne s’agit absolument pas, ici, de la question de la différence sexuelle. Lacan évoque le « déchirement originel » de l’homme « affranchi » de la société moderne chez qui « ce déchirement révèle jusqu’au fond de l’être sa formidable lézarde [6] ». C’est ce mot « lézarde » qui évoque pour moi au plus près la question de la castration comme marque et faille mais aussi comme creux, interstice voire point d’appui.
Une autre citation de Lacan est ici nécessaire, qui résonne avec les avancées de J.-A. Miller sur le passage du besoin par la demande chez l’être humain : « Le désir s’ébauche dans la marge où la demande se déchire du besoin. [7] » C’est par là que s’introduit la faille, ce reste que J.-A. Miller met en valeur comme ce qui ne peut se dire et ne peut donc pas être demandé dans la famille. J’y entends la présence de l’objet a comme reste participant au malaise dans l’économie familiale.
Il précise : « jouir de la castration, c’est-à-dire jouir du vol même de la jouissance [8] ». Il y a là deux étapes : la perte et la substitution de jouissance.
Le tranchant de la vérité lacanienne et de l’éthique qui en découle, dont J.-A. Miller s’est fait l’interprète, me semble donc résider dans un consentement à la perte originelle de jouissance et à sa substitution par une autre. Cela peut sembler douloureux – la livre de chair pourrait être ici évoquée – mais il me semble qu’en l’absence de perte originelle, ou quand le sujet ne consent pas à la substitution de jouissance, c’est une structure familiale ou subjective bien plus étroite, instable ou carrément défaite qui en résulte. Dans les meilleurs des cas, le désir s’interprète et la pulsion s’apprivoise.
[1] Miller J.-A., « Affaires de famille dans l’inconscient », La lettre mensuelle, juillet/août 2006, no 250, p. 8-11.
[2] Ibid., p. 10.
[3] Ibid., p. 8.
[4] Ibid., p. 9.
[5] Ibid.
[6] Lacan J., « L’agressivité en psychanalyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 124.
[7] Lacan J., « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », Écrits, op. cit., p. 814.
[8] Miller J.-A., « Affaires de famille dans l’inconscient », op. cit., p. 10.