« La famille est la première institution humaine ; elle est donc symbolique et non pas naturelle. […] Si elle est à la racine de l’institution humaine, on peut inférer qu’elle est aussi le point de départ de toutes les autres […] Substituts ou prolongements de la famille, les institutions ne peuvent faire l’économie du travail avec les familles [1] ».
Cet extrait de l’argument de Katty Langelez-Stevens m’a donné envie d’évoquer un versant de ma clinique au sein d’un service de Protection de l’Enfance en milieu ouvert. Dans ce service je constate, depuis cinq ans, une augmentation significative de mesures judiciaires d’accompagnement, un nombre croissant d’adolescents pour absentéisme scolaire. L’absentéisme scolaire est un terme générique qui recouvre une multitude de singularités. Il peut être l’indice du délitement du rapport à la parole d’autorité, parole d’autorité des parents et de l’institution « école ». L’intervention de la loi devient alors l’ultime recours pour tenter de faire entendre l’obligation (scolaire), l’interdit (de la violence) et le devoir (de permettre l’accès à une instruction). Cette référence à la loi s’opère via des interventions réelles et pragmatiques, nécessaires, pour un certain nombre de parents et de jeunes démunis, comme une double injonction : contraindre leurs enfants à poursuivre leur scolarité sans avoir usage de la violence. Dépossédées de leur référence éducative et relationnelle, ces familles précarisées symboliquement, devenant le lieu bien souvent du secret, de la honte, et de la haine de soi, sont prises dans un certain impossible à franchir. Par ailleurs, ces adolescents bien souvent humiliés interrogent, en s’extrayant des établissements scolaires, la place de la transmission et du transfert. Il arrive que la mesure judiciaire fasse scansion dans la répétition et amorce la perspective d’une certaine dignité, en offrant un autre point d’où se voir. Ce point peut parfois être incarné par le juge des enfants qui introduit, via ses attendus lors des audiences, d’autres perspectives que la précarité comme destinée et mode de vie. Un usage du réel de la loi donc, qui vient border et dompter par la contrainte la jouissance en roue libre, en introduisant la possibilité et le risque bien réel d’une perte : perte des droits de l’autorité parentale, de l’exercice de l’autorité parentale, placement de l’enfant, etc. Enfin, l’absentéisme scolaire est aussi l’expression d’une impossibilité à se séparer qui met en exergue (dévoile ?) le statut de l’enfant, objet rebus ou agalmatique, au sein de la cellule familiale réelle. Etudier ce phénomène grandissant nous enseigne sur les variations du malaise dans la famille à partir de l’absence de transfert à l’institution « école ». Freud a indiqué l’importance du lycée dans l’éducation des enfants [2], en éclairant la question du transfert au professeur comme substitut paternel [3].
[1] Langelez-Stevens K., « Le malaise dans la famille », argument de PIPOL 12, disponible sur le blog L’ argument – Katty Langelez-Stevens – Pipol Congrès.
[2] Freud S., « Sur la psychologie du lycéen », Résultats, idées, problèmes, Tome I, 1890-1920, PUF, 1998, p. 227-231.
[3] Ibid.