La famille est cette cellule fondamentale par laquelle s’opère l’insertion de l’humain dans la société.
« La famille parait d’abord comme un groupe naturel d’individus unis par une double relation biologique : la génération, qui donne les composants du groupe ; les conditions de milieu que postule le développement des jeunes et qui maintiennent le groupe pour autant que les adultes générateurs en assurent la fonction. [1] »
Comme à son habitude, Lacan aborde les problématiques en utilisant un point d’Archimède, c’est-à-dire un point extérieur qui permet de saisir ce qui échappe à la prise d’un savoir connu, que Freud rattache à l’inconscient. Ici, Lacan fait appel à la sociologie, en particulier à Durkheim.
Se référer à la sociologie permet à Lacan de contextualiser la famille, laquelle a pris, à différentes époques, des formes diverses. Par exemple, la famille selon le modèle de l’empire romain, qui a perduré plusieurs siècles, tend à se désagréger à l’époque du capitalisme et à se réduire à un noyau minimal.
Freud précise les éléments fondamentaux de la famille en les condensant dans le complexe d’Œdipe. L’un de ces éléments est universel et concerne tous les êtres parlants, l’autre est particulier et concerne la manière dont le symbolique se transmet dans les différentes cultures.
Le complexe d’Œdipe rassemble donc les éléments de base pour l’inscription dans le symbolique des êtres humains. Cette inscription est transculturelle. De ce point de vue, le complexe d’Œdipe « définit plus particulièrement les relations psychiques dans la famille [2] ».
L’Œdipe est donc le principe normatif fondamental et universel, la loi primordiale qui superpose le règne de la culture à celui de la nature. Loi qui acquiert dans l’interdiction de l’inceste une valeur particulière de pivot pour chaque sujet. Ainsi, l’inscription de l’être humain dans le symbolique coïncide avec une limitation de la jouissance, limitation qui est propre à l’être parlant et qui s’applique de manière singulière à chacun.
Cependant, d’un autre côté, le complexe d’Œdipe réalise cette inscription symbolique, qui rend l’homme humain, de façon différente et variée selon les cultures. C’est pour cette raison que, « [entre] tous les groupes humains, la famille joue un rôle primordial dans la transmission de la culture. [3] »
La famille est donc une institution. Or, toute institution – que Lacan appellera dans un texte « formation humaine » et plus tard « discours » – inscrit l’humain dans le langage et règle le rapport à la jouissance. Lacan le dit en ces termes : « Toute formation humaine a pour essence, et non pour accident, de réfréner la jouissance. La chose nous apparaît nue – et non plus à travers ces prismes ou lentilles qui s’appellent religion, philosophie… voire hédonisme, car le principe du plaisir, c’est le frein de la jouissance. [4] »
D’un côté, l’Œdipe est donc l’inscription dans le langage – c’est-à-dire dans le symbolique – pour tous les êtres humains, inscription qui implique une limitation, limitation valide et opérante en ce qui concerne la jouissance pour chaque être humain qui vient au monde. L’Œdipe et le sujet, donc, entendu comme sujet de l’inconscient, sont structurellement concomitants, tant du côté de l’inscription dans le monde symbolique que du côté de l’impossible réalisation de la jouissance.
D’un autre côté, cette inscription dans le symbolique implique d’être pris dans une langue particulière, donc dans une culture déterminée qui comporte des règles pouvant différer selon les cultures, mais qui impliquent toutes, de manière structurelle et incontournable, la limitation de la jouissance.
[1] Lacan J., « Les complexes familiaux dans la formation de l’individu », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 23.
[2] Ibid., p. 45
[3] Ibid., p. 24
[4] Lacan J., « Allocution sur les psychoses de l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 364.
Traduction : Eric Mercier
Relecture : Lea Caron de Formentel