Dans la famille, l’enfant est parlé avant de parler, nous dit Lacan. Il baigne dans les mots. Lalangue est ce qui résulte de cette rencontre avec l’Autre du signifiant, elle « est le dépôt, le recueil des traces des autres sujets [1] ». Elle vient de l’Autre par ses dits, ses silences, son corps, sa voix, son désir. Les mots, les sons qui s’imposent à l’enfant grouillent, prolifèrent comme autant de parasites qui affectent le corps.
Les effets de lalangue sont des affects, des « événements de discours qui ont laissé des traces dans le corps. Et ces traces dérangent le corps [2] ». Le symptôme, « l’événement de corps [3] », témoigne de cette jouissance produite par l’activité du signifiant qui opère hors sens et que tentera de fixer secondairement le langage.
Comment le sujet fait-il avec ce qui du corps a été percuté par les mots ?
Écrire contre la langue maternelle, tel a été pour Louis Wolfson [4] une nécessité. Les mots anglais font intrusion dans son corps, ils pullulent, prolifèrent et résonnent en lui comme le son dans une coquille vide. Ils sont des particules sonores bruyantes et pénétrantes ou des lettres menaçantes.
La langue maternelle relève de l’absorption, comme la nourriture. Sa mère le gave de nourriture et le pénètre de paroles anglaises. Le mot est avalé, ingurgité comme un aliment et il se protège du parasitisme de la langue anglaise comme il se protège du parasitisme des aliments qui viennent contaminer sa bouche.
Il utilise des procédés de brouillage comme se boucher les oreilles avec les doigts ou s’assourdir avec une radio mais ils restent imparfaits.
L. Wolfson étudie la phonétique et les langues étrangères. Il va s’appliquer à convertir les mots anglais en plusieurs langues étrangères à la fois : l’hébreu, le français, l’allemand, etc. Tant sur le plan du sens que sur celui du son. La transformation dépend de la ressemblance phonique et de la signification du mot. L. Wolfson n’est pas un traducteur. S’il utilise d’autres langues, c’est pour inventer une langue nouvelle, inoffensive, faite de combinaisons phonétiques de lettres, de syllabes et de mots étrangers. Chaque mot est démantelé, converti moyennant des analogies de significations et des similitudes phonétiques. La langue maternelle s’y trouve anéantie.
Si le mot nouveau renvoie au mot de la langue maternelle, il n’en constitue pas une métaphore. Les mots sont vidés de leurs désignations et de leurs références externes et ne signifient plus rien, ils ne racontent plus d’histoires.
L. Wolfson nous montre que ce qui se transmet de la langue de famille est insoluble dans le langage. Ce qui se transmet, ce ne sont pas des histoires de familles, mais des débris, des déchets qui emportent une certaine jouissance et avec lesquels chacun va devoir se débrouiller.
[1] Miller J.-A., « Théorie de lalangue », Ornicar ?, no 1, janvier 1975, p. 32.
[2] Miller J.-A., « Biologie lacanienne et événements de corps », La Cause freudienne, n° 44, février 2000, p. 44.
[3] Lacan J., « Joyce le symptôme », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 569.
[4] Wolfson L., Le Schizo et les langues, Paris, Gallimard, 1970.