Malaise dans la famille, malaise dans le « lieu de la langue [1] », ou comment la parole circule dans une famille lorsque le réel vient cogner à sa porte ? Voilà la question de départ. Le texte de Jacques-Alain Miller, « Affaires de famille dans l’inconscient [2] » en est ma boussole.
Chacun des enfants d’une même famille a à faire avec la langue maternelle. « La langue parlée par chacun est une affaire de famille et […] la famille, dans l’inconscient, est primordialement le lieu où l’on apprend la langue maternelle [3] ». Sous prétexte des mêmes parents, une langue commune est parlée par un groupe de parlêtres associés en une institution dite familiale. Comme « les instances culturelles dominent les naturelles [4] », les signifiants dominent les rapports familiaux. La langue maternelle peut sembler en apparence commune. Certaines phrases marquantes d’une mère le sont parfois pour plusieurs enfants d’une même fratrie.
Or, « la famille s’installe dans l’inconscient du névrosé parce qu’elle est le lieu où le sujet a éprouvé le danger [5] ». À chacun sa langue maternelle, à chacun sa langue, sa lalangue puisque chaque rencontre d’un corps parlant avec l’Autre est unique : le danger éprouvé viendra frapper différemment un sujet que son frère ou sa sœur. Les conséquences de l’interprétation du besoin par la demande pour chaque parlêtre, seront ainsi propres à chacun des enfants. Cela fait de la famille aussi le lieu par excellence de l’interprétation, nous dit Miller, puisque « chaque famille a un point d’On ne parle pas de ça […] Au centre des affaires de famille se trouvent toujours des choses interdites. [6] » Quand le sujet parle de la famille, « il parle donc de sa rencontre avec la jouissance, des moyens de jouir, de la perte de la jouissance, de celle qui s’y substitue [7] ». À chacun sa métaphore paternelle ou à chacun son bricolage pour faire avec le manque né du parasitage de son corps par la parole.
Quand la maladie et ses interprétations viennent se mêler au malentendu et à la non-rencontre à l’origine de la famille [8], le rapport sexuel, qu’il n’y a pas, envahit les discussions. D’une part, la maladie « prisme révélateur des pantomimes [9] » des relations familiales peut alors faire voler en éclats une série d’identifications qui constituaient le faire famille. Le traumatisme de la maladie résonne alors pour chaque Un avec l’effraction de la langue sur son corps, dans son propre rapport à l’Autre. D’autre part, « la maladie comme métaphore [10] » renvoie chaque sujet qui y est confronté à recouvrir ses peurs par des significations diverses pour voiler le réel en jeu. Le désir, part latente de la demande de chaque sujet, celle qu’on peut interpréter, risque alors de s’abimer dans le défilé des signifiants. L’analyse permet ici au sujet de tirer ses épingles du jeu de l’imbroglio des signifiants familiaux, pour faire avec sa maladie des mots, face au réel de la maladie corporelle d’un proche.
[1] Miller J.-A., « Affaires de famille dans l’inconscient », Enfants terribles et parents exaspérés, Institut psychanalytique de l’enfant du Champ freudien, Paris, Navarin, 2023, p. 163.
[2] Ibid., p. 161- 167
[3] Ibid., p. 163.
[4] Lacan J., « Les complexe familiaux dans la formation de l’individu », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 24.
[5] Miller J.-A., op.cit., p. 164.
[6] Ibid., p. 166.
[7] Ibid., p. 167.
[8] Cf. Ibid., p. 163.
[9] Breton C., « La mort comme miroir réel de ce qui fait couple », Hebdo-Blog, no 41, 7 septembre 2015, publication en ligne (https://www.hebdo-blog.fr/la-mort-comme-miroir-reel-de-ce-qui-fait-couple/).
[10] Sontag S., La maladie comme métaphore, Christian Bourgois, 2005.