« Si elle [la famille] est à la racine de l’institution humaine, on peut inférer qu’elle est aussi le point de départ de toutes les autres, et singulièrement des institutions de soins. Substituts ou prolongements de la famille, les institutions ne peuvent faire l’économie du travail avec les familles. [1] »
Le thème du prochain Congrès PIPOL, « Malaise dans la famille », est l’occasion de remettre sur le métier la question du travail avec les parents des enfants que nous recevons en institution. Quand un enfant nous est adressé, même s’il s’agit de la « demande » des parents, comment répondre ? À quelles conditions ? La dimension du désir des parents est centrale à prendre en considération, Lacan mettant en avant « l’irréductible d’une transmission […] impliquant la relation à un désir qui ne soit pas anonyme ». Il en spécifie les qualités du côté de la mère, « en tant que ses soins portent la marque d’un intérêt particularisé, le fût-il par la voie de ses propres manques » et du père, « en tant que son nom est le vecteur d’une incarnation de la Loi dans le désir » [2] . Ne pas tenir compte de ces précieuses indications sont autant d’obstacles à la possibilité d’installer sinon le transfert, du moins un partenariat avec les parents.
L’institution n’est-elle pas là pour faire accueil, d’une part, au symptôme de l’enfant, et d’autre part, à ce qu’il y a de symptomatique dans la famille en tant que « le symptôme de l’enfant se trouve en place de répondre [3] » ? Celui-ci peut alors représenter la vérité du couple parental mais aussi dans d’autres cas, réaliser la présence de l’objet a dans le fantasme de la mère et alors saturer « le mode de manque où se spécifie le désir (de la mère) [4] ». Ne nous y trompons pas, qu’un enfant occupe cette place est une nécessité vitale, mais qu’il puisse s’en déloger peut l’être tout autant.
En faisant le pari de travailler avec un enfant, nous ne devons pas perdre de vue que nous « séparons » les parents de ce qu’ils ont à la fois de plus précieux et de plus indicible en tant que ces jeunes parlêtres sont « autant de fausses-couches de ce qui a été, pour ceux qui [les] ont engendrés, cause du désir [5]. » Si pour certains parents nous pouvons représenter un Autre dont ils ont à se défendre, pour d’autres, c’est leur propre culpabilité qui nous est renvoyée sous les oripeaux d’une certaine virulence. N’oublions pas que l’objet frappé en l’Autre est toujours le kakon, part insupportable qu’est le sujet pour lui-même.
Ainsi, il semble y avoir un temps logique [6] afin d’avoir chance d’installer une atmosphère qui permette d’associer les familles : se destituer de son savoir et se laisser enseigner par celui des parents. Dans certains cas, c’est le champ de la subjectivité de leur enfant, de son énonciation qui s’ouvre. Dans d’autres, c’est un consentement à poursuivre le travail avec leur enfant qui est produit. Quoi qu’il en soit, l’humilité d’un « savoir ne pas savoir » – qui contraste avec les discours contemporains sur le coaching parental ou l’éducation à la parentalité –, mais aussi se dégager d’un « vouloir le bien de l’autre » – dont on sait maintenant que c’est toujours le pire –n’est-ce pas ce qui donne l’opportunité d’un partenariat entre familles et institutions ?
[1] Langelez-Stevens K., « Malaise dans la famille », argument PIPOL 12, disponible sur le blog, https://www.pipolcongres.eu/argument/
[2] Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Seuil, Paris, 2001, p 373.
[3] Ibid.
[4] Ibid., p. 374.
[5] Lacan J., Le Séminaire, Livre XVII, L’Envers de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Seuil, 1991, p. 207.
[6] Cf. Baio V., Pottier B., Marot M., « Trois temps ordonnés logiquement. » Faites le papa, faites la maman ! » », Ve Journées du RI3. « Traitement sur la durée ». Logique du temps en institution, Bordeaux, 2001, inédit.