L’institution ne peut séparer le sujet « de son Autre primordial, le véhicule de sa langue dont l’incarnation est toujours issue de la famille aussi réduite […] soit elle [1] ».
Je prendrai ce passage de l’argument de PIPOL 12 pour questionner ce qui dans le lien familial peut renvoyer à la présence réelle de l’Autre primordial et à ses effets de jouissance sur le sujet.
Je m’appuierai en cela sur les parcours d’enfants et d’adolescents confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance (ase), particulièrement dans ce qu’il advient du lien familial quand celui-ci est marqué par une violence (physique, psychique et/ou sexuelle) incompatible avec le maintien de ces enfants au sein de leur cellule familiale.
Quelque chose ne cesse de s’écrire et d’insister dans la symptomatologie de ces sujets quant à leur place en tant que réponse à la vérité du couple parental ou au fantasme maternel, en incarnant l’objet de jouissance [2].
Les travailleurs sociaux et les soignants font le constat, à rebours du discours visant la protection de ces enfants, que certains enfants et adolescents sont poussés, par les frayages qui se présentent à eux, à maintenir ce lien, alors même qu’ils sont confrontés chez leurs parents à la fixité des coordonnées qui ont amené au placement.
Plus l’institution se veut le soutien d’un idéal de protection de l’enfance, plus ce dernier est inefficace, et alimente même la nécessité du jeune de s’inscrire dans sa constellation familiale. Son assignation fantasmatique semble primer sur le reste : la place qui lui est désignée dans sa famille le détermine et le nomme bien plus solidement que le discours éducatif qui tendrait a contrario à l’en désarrimer, ne serait-ce pour y troquer une autre identification, « pour son bien ».
Parler de « conflit de loyauté » pour l’enfant ou l’adolescent est simpliste. C’est ignorer la jouissance dont il est marqué au fer rouge, l’amenant à venir répondre dans le réel, de ce qui se joue de son existence au regard de l’Autre primordial dont il ne peut rester séparé.
Cette réponse du sujet est d’autant plus manifeste quand la présence réelle du parent est en jeu, par exemple dans le cadre d’une visite, mais aussi dans la voix de l’appel téléphonique ou dans le regard de la photo de famille qui viennent faire intrusion jusque dans le lieu d’accueil. Des symptômes font irruption, différemment selon chacun : agitation, scarifications, encoprésie, énurésie, insomnies. Ils se logent de diverses manières dans le corps. D’ailleurs, l’émergence d’une parole pour dire le malaise est dans ces cas l’indice d’une ébauche de distanciation d’avec la jouissance en jeu.
Que peut y faire l’institution ? On le voit, être celle qui se prévaut d’un idéal de protection peut coincer le sujet face à une demande surmoïque et le pousser à l’acting-out .
L’institution a chance de se faire partenaire du sujet en questionnant les recours dont il dispose, pour que dans un bien dire il parvienne à questionner, border, voire démonter la jouissance familiale.
[1].Langelez-Stevens K., « Malaise dans la famille », argument PIPOL 12, disponible sur le blog, https://www.pipolcongres.eu/argument/
[2] Cf. Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373.