La question d’où je pars concerne ce qui fait le noyau indestructible de ce qu’on entend par « famille » au xxie siècle. Malgré la grande diversité des familles que l’on rencontre aujourd’hui, il y a un os, un invariant, un résidu qui traverse toute cette diversité.
Du temps de Freud, à l’aube du xxe siècle, la famille trouvait à se déplier à partir de la figure du père. Celle-ci avait pour fonction d’introduire l’enfant dans le désir et la loi, en l’engageant dans la signification phallique. Lacan l’a formalisée avec un mathème et il en a tiré la métaphore paternelle. Le père est une métaphore, il vaut comme une fonction.
Mais, dans son dernier enseignement, Lacan opère un déplacement du père comme signifiant-maître à autre chose. C’est ce déplacement qui me paraît central. La famille ne trouve plus à s’indexer sur l’Œdipe, ni sur la fonction symbolique du père ; elle vient indexer un rapport à la jouissance.
Pour saisir ce qui fait le noyau, l’os, le réel propre à ce qui constitue une famille, je me suis arrêté à la première phrase de Lacan dans la « Note sur l’enfant » : « La fonction de résidu que soutient […] la famille conjugale dans l’évolution des sociétés, met en valeur l’irréductible d’une transmission – qui est d’un autre ordre que celle de la vie selon les satisfactions des besoins – mais qui est d’une constitution subjective, impliquant la relation à un désir qui ne soit pas anonyme.[1] »
Les signifiants que je souligne sont ceux-ci : l’irréductible d’une transmission. Soit quelque chose dans la transmission qui ne peut être réduit, quelque chose qui ne se résorbe pas, et je le propose ainsi : quelque chose qui ne se symbolise pas, quelque chose qui reste hors symbolisation.
Cet irréductible propre à la famille conjugale, résonne avec les derniers mots de la phrase : un désir qui ne soit pas anonyme.
Que serait-ce un désir anonyme ? Ce serait un désir qui ne serait pas incarné, un désir purement symbolique ; un désir dont on ne connaît pas celui qui l’incarne, celui qui le porte. On pourrait le qualifier de désir pur.
Or le désir pour Lacan tient au parlêtre, et pas seulement au signifiant. Il y faut un sujet et un corps. C’est à cette condition que le désir est un désir qui n’est pas anonyme.
Je conclus avec la valeur que Lacan assigne à l’enfant dans la famille : celui-ci réalise la présence de ce que Jacques Lacan désigne comme l’objet a dans le fantasme.
On prend la mesure du déplacement de la famille prise au départ par Freud par le biais de l’idéal et du père comme figure centrale, comme signifiant-maître, à la famille pour Lacan où l’enfant a valeur d’objet a.
Aborder dès lors la famille par l’objet, par cet invariant, ce réel propre à la jouissance, permet de saisir l’immense diversité des familles aujourd’hui.
Cet abord de la famille ouvre alors à toute une recherche sur les modes de jouissance qui se confrontent entre l’enfant, le père et la mère ou ceux qui en tiennent la fonction.
[1] Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373.